Le projet d’A69, une autoroute qui relierait Castres à Toulouse, est au cœur d’une mobilisation citoyenne intense, décriée notamment pour ses conséquences environnementales. Thomas Brail, grimpeur arboriste et fondateur de l’association Groupe National de Surveillance des Arbres, est une des figures de cette lutte.
En grève de la faim depuis le 31 août – huit autres personnes l’ont rejoint depuis – , il est accroché dans un arbre devant le Ministère de la Transition écologique depuis le 14 septembre. Il réclame la suspension des travaux tant que les quatre recours déposés par des associations environnementales n’ont pas été jugés. Il demande un rendez-vous avec Carole Delga, Présidente de la Région Occitanie et Clément Beaune, ministre des Transports.
Tour d’horizon de cette lutte avec Thomas Brail.
Pourquoi cette opposition à l’A69 ?
Cette autoroute va artificialiser 400 hectares de terres agricoles, ce sont 17 hectares d’espaces boisés qui vont être rasés. Les canicules, c’est parce qu’on est en déficit d’arbre. La route qui existe déjà est la RN 126 où passent 8 000 véhicules par jour. On fait une autoroute pour 12 ou 13 000 véhicules jour, pas 8 000. 53 km d’autoroute, pour un gain de temps de 10 à 12 minutes, où l’aller-retour coûterait 17 € [100 € par mois pour les habitués, ndlr], on s’y oppose. On va aussi perdre les 2×2 voies [portion de nationale entre Soual et Puylaurens, actuellement gratuite et qui va devenir payante puisqu’intégrée à l’autoroute ndlr] qu’on a payées 75 millions d’euros il y a une dizaine d’années. C’est tout bénef : le concessionnaire autoroutier les récupère gratuitement. Nous on les perd. Plusieurs centaines d’habitants qui vivaient ici depuis plusieurs générations pour certains vont être expropriés, des centaines d’agriculteurs vont mettre la clef sous la porte.
Vous proposez une alternative à cette autoroute.
Aujourd’hui, on est là pour dire qu’il y a un autre projet qui est proposé : celui d’une véloroute nationale, qui consisterait à réaménager l’actuelle RN 126, où toutes les mobilités douces seraient interconnectées. Ce projet est porté par l’urbaniste Karim Lahiani et le collectif La Voie est Libre. Ce serait un projet pionnier en Europe. Il valoriserait tellement la Région, tellement Carole Delga. Parce que, clairement, l’A69 ne va pas lui faire du bien en termes de carrière politique. On fait trop de bruit. C’est là où on lui dit : « on n’a rien contre vous. Ils ne font pas que des bêtises ces élus, mais sur ce projet, n’y allez pas. Il a 30 ans, il n’a plus de sens, ne le remettez pas ».
L’A69 est au carrefour de nombreux enjeux : souveraineté alimentaire, lutte contre le changement climatique, question de la ressource en eau, préservation de la biodiversité, désenclavement des territoires…
On artificialise l’équivalent d’un département tous les 7 ans. La France n’a pas d’autonomie alimentaire, on le voit avec la guerre en Ukraine. Là, on table sur une artificialisation de 400 hectares de terres agricoles.
Quant à la problématique de la ressource en eau, sur les terres agricoles qui vont être détruites, la nappe phréatique est à deux mètres sous la terre. Elle n’est pas profonde, ces champs n’ont pas besoin d’être irrigués. Et là, on va dérouler un tapis de bitume. On va tout tuer.
Sur le désenclavement du territoire, des études le prouvent : quand tu fais une autoroute, ça vide les villages et moyennes villes, ça grossit les métropoles. Toulouse va récupérer tous les habitants. Et puis, ça ouvre la possibilité immense à des Amazon, Ikea, des plateformes logistiques qui vont bouffer de la terre agricole.
Vous évoquez environ 1 000 arbres coupés. Atosca, le concessionnaire autoroutier, en évoque 220. Comment peut-on passer d’un ratio de 1 à 5 ?
Atosca parle des arbres d’alignement [ceux en bord de route ndlr]. 17 hectares d’espaces boisés vont aussi être abattus. Si tu inclus ces arbres-là, il n’y a pas de chiffre, même nous on ne le connaît pas. Donc ils annoncent un chiffre qui est faux.
Carole Delga et Martial Gerlinger, DG d’Atosca, promettent une compensation environnementale multipliée par deux. Qu’est-ce qui ne vous convainc pas ?
Reparlons de ce mot « compensation ». Compenser ça voudrait dire que la planète est exponentielle, que tu peux la tirer à volonté, l’allonger. Non, la planète est en volume défini. A partir du moment où tu détruis quelque part, tu ne peux pas reconstruire ailleurs, c’est perdu. Recréer une zone humide, ça se fait sur des millénaires La compensation ça ne veut rien dire, ça n’existe pas. C’est simple, voilà.
Un sondage Odoxa sorti en mars dernier affirmait que 75% des locaux étaient pour cette autoroute.
Il a été fait sur 600 avis. L’enquête publique environnementale en a recueilli 6 200, 10 fois plus, dont 90% sont défavorables. Le Conseil National de la Protection de la Nature et la Mission Régionale d’Autorité Environnementale ont aussi donné des avis défavorables. Ce n’est pas la première fois que les enquêtes publiques rendent un avis négatif, mais que le projet se fait. La parole du citoyen, elle est où ? On demande à Carole Delga de laisser la justice faire son travail, et de suspendre les travaux tant que les recours ne sont pas jugés.
Tu as une manière de lutter assez originale.
Lutter au sol, c’est compliqué. On se retrouve vite heurtés aux forces de l’ordre. Lutter dans les arbres, c’est quelque chose que je sais faire. C’est difficile d’abattre des arbres quand il y a des personnes dedans. On a eu une victoire à Vendine en mars dernier : je m’étais accroché à un platane et on avait évité qu’ils abattent énormément d’arbres. Mais au 1erseptembre, ils ont eu des autorisations à nouveau pour couper.
Où en sont les travaux ?
Des portions de terres agricoles fertiles sont mortes : il y a eu des terrassements, des infrastructures bétonnées apparaissent. Une quarantaine d’arbres ont été abattus. On a perdu des niches à biodiversité considérables, mais on est 3-5% d’avancement des travaux. Il n’y a rien qui est fait.
Beaucoup de débats sur les violences policières ont eu lieu ces derniers mois, allant parfois jusqu’à détourner le débat de fond du sujet. Quel est ton rapport aux forces de l’ordre ?
Début septembre, on a appris que l’abattage des arbres allait reprendre, donc on s’est équipé avec les copains. Un avion a survolé ma maison et deux heures après, il y avait 200 gendarmes à Vendine. Je n’avais jamais vu ça : des hélicoptères avec des caméras thermiques pour la nuit, des gros lampadaires de chantier, on se serait cru à Versailles, des drones, des chiens … J’ai pas les épaules pour jouer avec ça. On n’a pas pu sauver les arbres de Vendine, ils les ont abattus.
Ce n’est pas après les forces de l’ordre que j’en ai, c’est après les donneurs d’ordres. C’est aux personnes derrière eux à qui j’aimerais parler. En aparté, ils me disent qu’ils trouvent ce projet anachronique. J’en ai surpris un pendant les abattages de Vendine : je l’ai vu sortir de derrière un fourgon, en soufflant. Je le voyais dans ses yeux, c’était « ça fait chier ce truc ». Je lui ai dit « je l’ai vu ton regard, t’es comme nous, ce qui était en train de se passer, t’en n’as pas envie ».
Comment se passe la mobilisation sur place ?
On bloque deux sites : le Chemin de la Bourrelie, à Saint-Germain-des-Prés et Laprade. Il y a des grimpeurs dans les platanes.
La plus grosse action sera « Ramdam sur le macadam » les 21 et 22 octobre prochains.
Dans la « vraie vie », qu’est-ce que tu fais ?
Je suis arboriste grimpeur, je soigne les arbres. Quand je vois le terme « activiste écologiste militant » … Je ne suis rien de tout ça. Je suis un citoyen, qui a une entreprise qui travaille avec les arbres, et qui a fondé une association pour les protéger. C’est tellement facile de mettre les gens dans des cases pour mieux diviser les citoyens. Là par exemple, je ne travaille plus, ma boîte ne tourne plus.
Quelle est ta relation aux arbres ?
Depuis tout petit, j’ai toujours grandi proche de la montagne. Je partais souvent en forêt en balade avec mes chiens, je construisais des cabanes, je m’inventais des imaginaires : les ruisseaux, les forêts, les arbres … Enfin voilà. Tout ça c’est ma vie, mais parce que je suis de là, je suis du Tarn. Quand je vois ces arbres être coupés, c’est viscéral. Si je mets ma main sur l’écorce, je suis capable de ressentir son poids pendant 10-15 minutes. J’ai tellement pris conscience qu’on a besoin d’eux. Je pense qu’il y a une vraie prise de conscience qui s’opère : n’importe quel citadin aujourd’hui a très bien compris qu’il valait mieux aller se réfugier sous les arbres quand on habite en ville, que de rester sur le béton.
Tu es en grève de la faim depuis 16 jours [à la date de l’interview], quel est ton état ?
Je suis assez fatigué. J’ai perdu trois trous à ma ceinture. La masse graisseuse, j’ai déjà tapé dedans, on fait un métier physique, on n’en n’a pas trop. Je commence à taper dans la masse musculaire. Psychologiquement, ça va. J’ai un mental d’acier. C’est le corps, il a des limites. Donc voilà, on va voir.
As-tu un message à faire passer aux citoyens ? A la classe politique ?
Aux citoyens : levez-vous de vos canapés, sortez les yeux de vos écrans. Venez sur le terrain nous aider. On est peu à se battre pour l’intérêt commun. Si vous pensez que, parce qu’on a monté une association, on va tout régler de suite, vous vous trompez. C’est le nombre qui fera la force. Et puis, nous aussi on a envie de souffler à des moments. Je préfère être avec mon fils. Les encouragements sur les réseaux sociaux oui très bien, mais aujourd’hui il faut prendre les choses en main un petit peu plus.
Pour la classe politique : « réveillez-vous tant qu’il est encore temps, parce que tout va mal quoi. On est tous dans le même bateau, il a des fuites, et si on ne se met pas tous à les boucher, on va couler tous ensemble ».
Quelque chose à ajouter ?
J’apporte mon soutien, et vraiment du fond du cœur, aux huit grévistes qui sont entrés en grève de la faim aussi pour me soutenir.
Rédactrice : Ambre Michon