Karim Lahiani est paysagiste urbaniste. Il est à l’origine, avec le collectif La Voie est Libre, d’une alternative à l’A69, baptisée Une autre voie, dont la mesure phare est la création d’une véloroute nationale, une première française.
Cette alternative proposée est bien plus qu’une simple réponse aux défis de mobilité, c’est un véritable projet de société, qui nous invite à réinventer notre manière d’habiter nos territoires. Une autre voie veut mettre les décideurs politiques face à leurs discours : « nous avons repris beaucoup de choses proposées par le gouvernement. On appelle à mettre en adéquation les paroles et les actes politiques » défend Karim Lahiani. Humeco l’a rencontré.
Une autre voie, alternative proposée à l’A69 et portée sur les mobilités douces et l’intermodalité se décline en trois axes.
Une autre voie apporte une réponse systémique pour faire bifurquer nos modes de vie. On propose de réaménager la nationale (RN 126), pour qu’elle soit beaucoup plus en autopartage et avec plus de transports en commun.
Ensuite, il y a la question du train, qui est en fait déjà repris par la Région, mais qui ne l’assume pas sur ce dossier précis de l’axe Toulouse Castres. Nous proposons l’ouverture de cinq gares sur le tracé.
Et puis, cette première véloroute nationale française, qui permettra de capter les déplacements de courtes distances et réduire de 25% le trafic en voiture sur la nationale. Ce n’est pas une infrastructure mais un équipement : elle ne coupe pas les corridors écologiques, n’a pas vocation à détruire pour s’imposer dans le paysage. Elle va épouser les lignes existantes de la géographie des coteaux, des villages, des champs, passer entre les arbres. C’est un nouveau rapport, vraiment apaisé, à l’aménagement qu’on propose-là. Elle serait le signe d’une politique ambitieuse du vélo en France, et pas seulement dans les villes, mais entre les villes et les campagnes. A cet égard, notre projet est pionnier. Il ambitionne que cette mesure soit reprise au niveau national, et que la France se maille de véloroutes nationales.
Le foncier qui aurait dû être artificialisé pour l’A69 aura une autre fonction
En 2050, il va faire 50°C en été en Occitanie. Si on veut s’en sortir dans ces conditions, ce n’est pas une autoroute, un four géant, qui va nous faire survivre, mais bien le fait de replanter le territoire à vaste échelle. On utilise ce foncier pour en faire des lieux de pépinières temporaires, redéployer le bocage, pratiquer une agriculture agroécologique, moins dépendante de l’eau, avoir des espaces de jardins partagés, afin d’impliquer les citoyens. Nous souhaitons mettre en œuvre des choix qui permettront de revivifier notre territoire d’un point de vue économique, écologique et social.
Quelles sont les retombées économiques de cette alternative pour le territoire ?
Nous apportons des propositions concrètes, qui permettent de changer notre logiciel de pensée sur les questions économiques. La philosophie portée par l’autoroute, c’est un modèle où l’économie et nos modes de vie sont dépendants de l’extérieur, et des longues distances. En matière économique, tout découle de ces choix de courte distance : développer la cyclo logistique est une ambition portée par le gouvernement, donc allons-y, faisons-le.
L’artisanat pourrait être une source d’emplois. Chez nous, c’est un territoire d’argile. Pendant des siècles, dans la Haute Garonne et le Tarn, on a construit des fermes avec de la terre crue. Ça émet zéro carbone et ça crée de l’activité, avec des ressources locales.
On fait des propositions sur le « zéro artificialisation nette », notamment dans les zones d’activité. On veut les voir s’enrichir, prendre un virage à 380° : que ce ne soient plus des boîtes à chaussures, avec une densité d’emploi très faible. On veut en faire des lieux vivants, des lieux où l’on va parce qu’il y a du lien social, de l’artisanat, de l’économie sociale et solidaire, et qu’on soit plus obligé d’y aller en voiture.
Vous portez l’installation de sept « grands équipements », qu’est-ce que c’est concrètement ?
Ce sont sept lieux, chacun avec une thématique précise, répartis à peu près tous les 10 km sur l’axe. Ils ne sont absolument pas imposés aux habitants et on veut en rediscuter. Ces lieux vont nous permettre d’aller vers cette bifurcation, et vers une sensibilisation des citoyens aux questions écologiques et de reconnexion au Vivant. A Castres, il y aurait une grande cité du vélo. Dans un lieu patrimonial fabuleux – une ancienne usine – on va mixer les usages : une programmation culturelle avec un musée populaire du vélo, des dynamiques économiques avec, pourquoi pas, une pépinière d’entreprises liées aux mobilités douces, un tissu associatif avec des structures qui défendent le vélo, des espaces festifs avec un restaurant en circuit-court, une ressourcerie pour apprendre à réparer son vélo … Le centre national des oiseaux, la centrale des fertilités, l’école de la transmission écologique sont aussi trois de ces grands équipements.
Qui financerait cette alternative ?
Les dépenses d’investissements publics sont estimées à 100 millions d’euros. Nous sommes pour une redirection des financements publics vers un projet alternatif, qui servira les habitants à long terme. Notre projet répond aux financements publics existants. Pour ne prendre qu’un seul exemple : le Plan Vélo, annoncé par Clément Beaune – 2 milliards d’euros financés par l’État, 4 milliards par les collectivités locales. Ce Plan Vélo rentre en résonance totale avec le projet de première véloroute nationale française. Donc l’argent, il y en a. Il y aura probablement d’autres financements à aller chercher, mais on a une base, qui peut être mise en œuvre de manière immédiate, et satisfaire nos décideurs politiques, puisqu’elle répond au discours qu’ils ont.
Êtes-vous en lien avec des possibles constructeurs ?
On a fait une proposition, qui reste à débattre totalement. L’idée serait de faire intervenir une société d’économie mixte. Elle serait l’aménageur de la véloroute, et aurait aussi un droit de préemption de réaménagement rural et artisanal des parcelles convoitées. Cela permettrait d’avoir une stratégie cohérente d’aménagement, avec une réflexion globale sur les mutations du territoire, et non pas juste une véloroute posée au milieu du décor.
Quelles relations avez-vous avec les élus ?
Dès qu’on a présenté ce projet, on a dit que nous offrions notre proposition aux décideurs politiques. On est là pour leur donner une porte ouverte vers un nouveau modèle. On dialogue avec eux : le projet a été remis à la Présidente de Région, qui ne s’est pas encore prononcée mais qui nous écoute.
L’État, par le biais de Clément Beaune, nous a répondus pour l’instant qu’il était défavorable à cette alternative, parce qu’elle ne remplissait pas, selon lui, les objectifs défendus de l’autoroute. Nous sommes d’accord : notre projet a une différence de nature, sur ce qu’il porte comme développement. Nous sommes d’accord que nous ne sommes pas d’accord sur les objectifs de nos projets respectifs, mais peut-être que cette initiative que nous avons lancée et qui prend de l’ampleur politique va permettre au ministre de reconsidérer son choix.
Et avec Atosca, le concessionnaire autoroutier de l’A69 ?
Nous n’avons pas à entrer en négociation avec Atosca. Nous considérons que ce projet est un scandale, une privatisation de notre territoire au profit de quelques-uns. Il y a des tentatives de récupération de notre projet : ils proposent de mettre une véloroute aux abords de l’autoroute. Ils n’ont pas compris qu’on avait changé d’époque. Ils n’ont pas compris ce qu’était le sens du vélo profondément : le sens du vélo c’est justement de s’affranchir des nuisances induites par la voiture. Personne n’ira pédaler au bord d’une autoroute qui ne nous permettra même pas de contempler nos paysages.
Quelle est la suite pour Une autre voie ?
Le projet est en cours de construction. Nous rentrons en campagne sur le terrain, pour faire valoir la réflexion eue pendant plusieurs mois, et l’enrichir avec les habitants. On a imprimé 100 000 flyers, qui expliquent le projet de l’autoroute, et, notre projet. Nous allons organiser des opérations de « préfiguration matérielle », en lien avec les tissus associatifs. Pour ne donner qu’un exemple, à l’automne, des opérations de plantations, notamment avec les sixièmes, comme annoncé par Emmanuel Macron, vont avoir lieu.
Ensemble, on porte une légitimité à faire une proposition d’alternative : ce projet écocide touche un territoire que nous connaissons intimement. Nous devons sauver ces terres, que nous aimerions transmettre aux générations futures.
Rédactrice : Ambre Michon