Que diriez-vous d’un monde où il fait trop chaud dehors pour sortir de chez soi l’été, mais où l’on a toujours accès à un fil sans fin de contenus audiovisuels sur nos multiples appareils électroniques pour occuper nos journées, tout en contribuant encore plus au réchauffement climatique ? Ce futur pourrait advenir si le problème environnemental du numérique n’est pas pris au sérieux.
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a ré-affirmé en septembre 2022, via le plan France 2030, le potentiel économique du numérique et souhaite que le pays devienne «une terre d’accueil pour les datas centers ». Tous les jours, nous en sollicitons souvent sans le savoir.
La caricature est d’affirmer que leur fonction principale est de conserver durablement la vidéo tik tok du petit écureuil qui se gave de noisettes sans pouvoir les avaler . Oui, elle est bien conservée dans un data center mais ces infrastructures accueillent aussi et surtout nos archives numériques, celles des banques, toutes les vidéos des plateformes TV, des milliards de documents scannés, (via des clouds, plateformes).
Pourtant, les data centers restent des structures quasi invisibles pour les citoyens et relativement opaques aux yeux des acteurs publics, alors que les impacts sur les ressources et l’environnement sont bien réels. Derrière la « croissance verte » techno-solutionniste prônée par le gouvernement, semble se cacher un greenwashing foncièrement anti-démocratique qui profite aux géants du numérique.
C’est quoi un data center ?
Concrètement, il s’agit d’un bâtiment ou d’une installation complexe accueillant de nombreux ordinateurs répartis sur plusieurs dizaines de mètres carrés, stockant de grands volumes de données numériques .
L’objectif de ces équipements informatiques est alors d’assurer la disponibilité et la sécurité des données. Depuis l’attentat du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001, les grands groupes (et les Gafam) stockent la même donnée en trois lieux différents. Cela signifie que les data centers tournent pour l’essentiel sans que les données soient utilisées.
Alors que le monde ne comptait que 500 000 data centers en 2012, le nombre de ces derniers dépasse aujourd’hui les 8 millions.
La plupart des datacenters sont de taille relativement réduite (à l’échelle de quelques salles informatiques dans un bâtiment) mais il y a plus de 5000 grands centres de données dans le monde. Ces centres ressemblent à des entrepôts logistiques de l’extérieur. Il y en a 260 en France aujourd’hui. Les prévisions estiment qu’ils seront 550 en 2030. Avec l’explosion du numérique ces dernières années, ils poussent dans tous les recoins, particulièrement en Île de France (plus de 120) en milieu urbain, mais aussi sur des terres agricoles.
En quoi les datas centers constituent une menace pour l’environnement ?
L’impact territorial des installations pour les habitants
L’emprise foncière de ce genre de projets est conséquente sur le territoire, a un impact sur le paysage, l’environnement, la biodiversité, comme le montrent l’étude de l’institut Paris Région ou celle de la mission régionale de l’Autorité Environnementale (à consulter ICI).
Plusieurs témoignages rapportés par des riverains franciliens au cours d’un colloque sur les data centers organisée par FNE IDF le 13 novembre 2023, font le constat que les porteurs de projet (entreprise du numérique comme Inexion, Global Switch, Equinix, hébergeant les données de clients tel qu’Amazon, Netflix, Google… ) avancent en temps masqué avec les élus communaux sur les projets. Souvent, les citoyens se retrouvent face à un projet déjà ficelé et des engagements financiers pris, au moment de la phase d’enquête publique et n’ont pas les moyens ou le temps de s’y opposer.
Par exemple, un projet de 15000 m² de serveurs et 83 MW de puissance à Wissous (91) est en cours « sans que la population locale n’ait été informée ou consultée au préalable, et sans que la chaleur produite ne soit récupérée pour le besoin des habitants », témoigne un riverain engagé contre le projet.
Même histoire pour la Courneuve (93) : «Nous découvrons le projet à l’enquête publique et il est trop tard pour faire quelque chose, arrêter le projet ou l’améliorer, le permis de construire a été délivré par le maire en parallèle» témoigne une habitante de la commune, sur laquelle s’est implantée le plus grand data center de France d’une puissance de 250 MW.
Des gouffres énergétiques
Les data centers sont des monstres particulièrement énergivores en électricité et en eau, pour alimenter et refroidir des serveurs qui tournent 7j/7, 24h24 . En France, ils sont principalement raccordés au réseau d’électricité.
Avec la transition énergétique, RTE (Réseau Transport Electricité) prévoit une augmentation de la consommation électrique nationale de 30 à 40 %. Alors que le réseau électrique devra déjà compenser la diminution de la consommation d’énergie fossiles pour tendre vers la neutralité carbone, les data centers représenteraient en plus à eux seuls plus d’1/3 de la consommation totale en électricité d’île-de-France d’ici 2040 (40 TWh), d’après les prévisions RTE.
Pour comparaison les plus gros data centers de France, d’une puissance de raccordement d’environ 250 MW consomment autant d’électricité que des villes de 500 000 habitants !
Schéma Régional du climat de l’air et de l’énergie d’île de france à consulter ICI
De plus, les data centers qui remplissent certains critères environnementaux bénéficient de tarifs préférentiels d’électricité (Critères de réduction de la Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Électricité (TICFE) fixé dans le cadre de la loi de finances chaque année.). Par exemple, proposer un projet de récupération de chaleur dégagée par le fonctionnement des serveurs, pour réinjection dans un réseau de chaleur constitue un critère.
Cependant, aucun seuil minimal n’est fixé sur la quantité de chaleur à revaloriser. Planter des arbres aux abords du site ou installer des panneaux solaires en toiture sont deux autres critères environnementaux. In fine ces mesures s’avèrent purement anecdotiques et peuvent simplement être qualifiées de greenwashing. A titre d’exemple, il faudrait l’équivalent de 5 terrains de foot couverts de panneaux solaires, pour couvrir les besoins d’un data center de 50 MW seulement.
Les risques environnementaux sur la population
Ces projets présentent des risques majeurs d’incendie ou de pollution de l’air dû au stockage de matières dangereuses et les conditions de fonctionnement des groupes électrogènes, des batteries, des systèmes de refroidissement.
On peut citer les incendies de mars 2021, du data center OVHCloud près de Strasbourg (68), du data center Maxnod dans l’Ain (01) ou de Global Switch à Clichy (92) en 2023.
Les datas centers sont raccordés au réseau d’électricité qui dépend essentiellement du nucléaire en France, mais toutes les installations sont équipées d’un groupe électrogène et stockent des milliers de litres de fioul, en cas de maintenance ou d’éventuelle défaillance du réseau d’électricité.
C’est ce point que l’Autorité Environnementale du Ministère de la Transition Écologique a relevé dans plusieurs de ses avis sur les projets. Elle estime que le risque de pollution direct au CO2 sur la santé humaine, engendré par la consommation considérable de carburant du groupe électrogène en cas de problème, n’est pas assez pris en compte dans l’évaluation environnementale des projets.
Une réglementation à faire évoluer et un débat démocratique à engager
Le projet d’un nouveau data center à Meudon consommerait l’équivalent en électricité d’une ville de 100 000 habitants ; c’est le deuxième data center d’Equinix sur la commune de Meudon, qui se situerait en lisère de la forêt domaniale. Equinix est une entreprise qui héberge entre autres, les données d’Amazon et Netflix.
Dans une zone urbanisée et déjà saturée sur la demande en électricité, il faudra probablement ajouter de nouveaux pylônes pour répondre aux besoins de ce nouveau client. L’agrément autorisant la construction de ces locaux sera délivré par la Préfecture. En fonction de leur puissance (le projet sera soumis à autorisation ICPE si les groupes électrogènes dépassent une puissance cumulée de 50 MW (rubrique 3110) ou si le stockage enterré de fioul (rubrique 4734) est supérieur à 2 500 t), ces locaux sont assimilés à de simples entrepôts pour l’État et ne rentrent pas systématiquement dans la réglementation ICPE. Il n’y a pas plus de contraintes par rapport aux habitations environnantes si le Plan Local d’Urbanisme de la commune permet son implantation.
Localement des collectifs de citoyens s’organisent pour lutter contre ces projets à proximité de leur lieu de vie. On peut citer l’association Wissous Notre Ville, qui avait réussi à faire suspendre le permis de construire du giga data center Cyrus One. Le tribunal administratif a donné le feu vert à l’installation en 2023 mais les opposants ne désarment pas.
Il faut visibiliser ces projets qui se multiplient et sensibiliser la population, afin d’engager un débat démocratique sur ce sujet. Ce n’est pas à quelques entreprises du numérique et élus locaux décider de la façon dont le secteur du numérique doit se développer, mais à l’ensemble des citoyens, puisqu’il impacte nos vies et notre environnement.