La résilience urbaine : transformer nos eaux usées en ressource grâce au bambou
Dans le monde, 60 % des populations n’ont pas accès au traitement de l’eau, et 80 % des eaux usées sont rejetées dans la nature sans traitement. Une start-up a trouvé une solution économique et écologique : une station d’épuration entièrement végétale, sans rejet en milieu naturel.
Station d’épuration de bambou assainissement d’effluent domestique à Miramas
Se balader entouré de bambou de douze mètres de hauteur, Bernard Benayoun ne s’en lasse pas : “Cela ressemble à un jardin botanique, mais c’est un lieu où l’on traite des eaux usées.” À quelques pas, une salle de réception et des champs d’élevage bovins accueillent les effluents, tous dirigés vers cette bambouseraie. Le cofondateur de Bamboo for Life, basé à Aix-en-Provence, développe depuis plusieurs années le concept de stations d’assainissement des eaux usées grâce à la phytoremédiation.
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À l’échelle mondiale, 60 % de la population, soit 4,5 milliards de personnes, ne bénéficie d’aucune solution pour le traitement de l’eau d’après l’OMS. Un constat alarmant, tant d’un point de vue sanitaire qu’environnemental. Pour y remédier, le bambou, avec ses 1400 espèces, est capable de traiter une grande variété de polluants présents dans les eaux usées, en évitant tout rejet dans la nature. “Nous travaillons sur la symbiose entre le climat, le sol, la plante et le vivant. La bactérie se développe dans le système racinaire”, explique Bernard Benayoun, en montrant un rhizome.
Les effluents séjournent dans les rhizomes de bambous.
Les effluents se filtrent à travers les rhizomes des bambous. Le système racinaire, dense et oxygéné, abrite une population de bactéries qui se développe dans les racines, un phénomène appelé « effet rhizosphère ». “Ce système racinaire est oxygéné, donc il favorise le développement bactérien à l’intérieur qui, elles vont dégrader les polluants”, précise l’expert. Une fois la dégradation accomplie, dans les stations classiques, on génère des boues d’épuration. Dans notre modèle, nous c’est transformer en minéraux, les nutriments nécessaires à la plante.”
Une solution intéressante quand 80% des eaux usées seraient rejetées sans traitement d’après l’ONU. Ces eaux emportent des particules de plastique, des métaux lourds et d’autres traces de polluants, dont des résidus médicamenteux. L’eau sale cause 1,7 million de décès par an dans le monde.
Renforcer la résilience de nos villes
Le bambou, en plus de traiter les eaux usées, offre d’autres avantages. Son feuillage dense permet l’évapotranspiration, un processus par lequel l’eau purifiée est évacuée, générant ainsi des îlots de fraîcheur. Ces espaces de rafraîchissement, de plus en plus recherchés en milieu urbain face au réchauffement climatique, peuvent réduire la température de 3 à 8 °C dans les zones tempérées, et de 10 à 20 °C dans les zones tropicales selon l’entreprise.
Les eaux évaporées transpirées par les feuillages du bambou créent un rafraîchissement de l’air. C: Bamboo for life
Les vertus du bambou ne s’arrêtent pas là. Le bambou à la capacité de capter le CO2. Elle peut absorber 60 tonnes de CO2 par an et par hectare, c’est environ quatre fois plus qu’une forêt classique.
Ces bambouseraies sont également adaptées à de nombreux secteurs industriels, qu’ils soient agricoles, pharmaceutiques ou industriels. Pour les municipalités, une bambouseraie peut traiter les eaux usées de 10 000 habitants. Un avantage à saisir, selon le cofondateur de Bamboo for Life : “Nous passons de l’idée du pollueur-payeur, qui n’était pas réellement environnementale, au concept du pollueur-acteur. Désormais, chaque générateur de pollution peut devenir acteur de sa propre dépollution, en intégrant une unité de bambou assainissement dans son modèle industriel.”
Cependant, la principale limite est la superficie disponible : plus la ville ou l’entreprise est grande, plus il faut de terrain.
Une plante créatrice de revenus pour l’exploitant
D’un point de vue économique, ces bambouseraies sont également avantageuses. Sobre en énergie, selon le Cofondateur de Bamboo for life, installer ces stations végétales coûte 15 à 20 % moins cher que les stations d’épuration classiques, qui génèrent des coûts d’exploitation trois fois plus élevés.
La plante présente également une grande valeur en termes de biomasse. Le bambou atteint sa taille adulte dès son premier mois de croissance (10 à 25 mètres de hauteur, avec un diamètre de 5 à 20 cm selon les espèces). La station est rentable dès la quatrième année de culture.
“Nous sommes vraiment dans un circuit vertueux. Nous produisons le bambou grâce aux eaux usées, et ensuite nous valorisons ce bambou pour créer une économie pour le propriétaire de la station”, se réjouit Bernard Benayoun.
Échantillons de transformation du bambou : tissus, pellets, charbon actif
En effet, le bambou est une biomasse propre, capable de s’adapter à divers secteurs industriels : mobilier, textile, énergie (notamment pour la fabrication de charbon actif utilisé pour purifier l’eau et l’air), ou encore la production de pellets de bambou pour poêles à bois, etc. Ces stations végétales peuvent produire entre 20 et 100 tonnes de matière sèche par hectare et par an.
Une innovation qui s’inscrit dans les enjeux du développement durable sous de multiples aspects. Bien que l’entreprise ait encore du mal à s’implanter en France, elle se développe à l’international, notamment en Afrique. Bernard Benayoun reste optimiste, convaincu d’avoir trouvé une solution concrète pour traiter les eaux usées : “Au lieu de générer des boues, nous avons du bambou. C’est l’intérêt même de la station d’épuration : donner de la valeur à l’eau usée. Donner de la valeur à un problème.”