Mardi 30 mai 2023, les députés brésiliens ont voté en faveur d’un projet de loi visant à limiter la démarcation des terres indigènes. Un coup dur pour le président Luiz Inacio Lula da Silva, réélu en début d’année et qui souhaitait relancer la politique de protection des peuples autochtones et de l’Amazonie.
Succédant à Jair Bolsonaro pour un nouveau mandat, le président Lula, à gauche de l’échiquier politique Brésilien, voulait faire de la protection de l’Amazonie et des peuples autochtones une priorité. Mais le passage de ce projet de loi est un véritable revers pour le président nouvellement élu.
Le président de gauche doit composer avec une Chambre des députés dominée par une droite ultra conservatrice et favorable à l’agro-économie, l’agro-alimentaire et des groupes d’opposition. Ce sont eux qui ont voté, à 283 voix pour et 155 contre, ce projet de loi.
Ce texte, marco temporal (“repère temporel”) établit que les autochtones ne peuvent qu’occuper les terres sur lesquelles ils se trouvaient au moment de l’établissement de la Constitution en 1988. Problème : selon les autochtones, ils n’occupaient déjà plus certaines de ces terres à cette date. Ils expliquent avoir été chassés au fil des siècles.
Après 4 ans de politique climaticide mené par le président Jair Bolsonaro, Lula représente l’espoir d’une politique en faveur du climat et de l’environnement. Un espoir bien vite douché.
Vers un retour de la déforestation à la hausse ?
L’existence de ses démarcations de terres indigènes était un frein à la déforestation et à l’implantation (ou à l’extension) de nouvelle ferme agricole. Selon le droit brésilien, les terres indigènes sont “inaliénables et indisponibles, et donc sans possibilité aucune de négociation ou de prise en compte des intérêts économiques ou politiques”.
Ce statut particulier servait de protection aux régions et aux peuples indigènes face à la déforestation et à l’exploitation de leurs terres. En 2011, ce sont 400 terres qui étaient cataloguées. À la fin du précédent mandat du président Lula, elles étaient 750 environ selon la Fondation nationale des peuples indigènes (FUNAI). Mais pendant 4 ans, le gouvernement de Jair Bolsonaro ne reconnaît aucune nouvelle terre indigène. Toujours selon la FUNAI, un tiers des territoires autochtones serait toujours en attente de reconnaissance.
Avec ce vote, c’est plus de 50 ans de reconnaissance pas à pas des territoires autochtones qui sautent. Et avec elle, le statut particulier de ces territoires et la protection qui va avec. Les territoires autrefois protégés, et ce, depuis 1988, seront ainsi à nouveau soumis à l’appétit des entreprises de l’agroalimentaire. Et donc, à la déforestation.
“Il s’agit d’un génocide contre les peuples indigènes, mais aussi une attaque contre l’environnement”, a déclaré la ministre brésilienne des Peuples indigènes, Sonia Guajajara.
Des ONG et des militants du monde entier se sont révoltés à l’issue de ce vote. C’est aussi le cas d’acteurs, comme Leonardo Di Caprio, qui manifeste régulièrement son soutien aux peuples indigènes sur son compte Twitter. De son côté, Mark Ruffalo, connu pour son interprétation d’Hulk, a tweeté qu’il y a “une guerre contre les peuples indigènes et les forêts”. Il ajoute que la planète est en danger et espère que Lula pourra empêcher l’avancée de celui-ci.
Le massacre continue
À l’annonce de ce vote, plusieurs centaines d’autochtones se sont réunis pour manifester leur désaccord et leur colère face à ce projet de loi. Des regroupements rapidement dispersés par la police, qui a fait usage de gaz lacrymogène.
De son côté, la Chambre des députés pourrait infliger d’autres revers au président Lula. La ministre des Peuples indigènes pourrait rapidement perdre la responsabilité de la démarcation des nouvelles réserves indigènes. Celles-ci reviendraient au ministre de la Justice.
L’arrivée, une nouvelle fois, de Lula au pouvoir au Brésil, a été source d’espoir pour les autochtones autant que pour les défenseurs du climat. Mais ces quatre ans pourraient s’annoncer moins fructueux pour le président de gauche.
Le texte doit encore être soumis au Sénat avant de pouvoir entrer en vigueur. Le président pourrait y opposer son véto, mais le Congrès pourrait disposer de soutien suffisamment important pour passer outre. Il reste la Cour suprême, qui doit l’examiner le 7 juin et pourrait juger le texte inconstitutionnel.
Source : résultat du vote / déclaration de la ministre
Article par Benoit Dupuis-Tordjeman