Vendredi 6 octobre 2023 a débuté la tournée européenne de la délégation Jiboiana. Cinq autochtones du Brésil sont arrivés en Europe pour sensibiliser le grand public ainsi que les députés européens sur leurs combats. De l’écologie au social en passant par le féminisme, ces gardiens et gardiennes de la forêt se battent pour la survie de l’humanité.
La tournée européenne de la délégation autochtone de l’association Jiboiana a débuté vendredi dernier avec la conférence “Vivre la Nature, préserver les forêts” avec la présence de Thaline, Suhyasun, Biruany, Bixku, Nawa Sia, de jeunes leaders et leadeuses autochtones du Brésil. Humeco s’est rendu sur place pour échanger avec ces activistes sur la lutte féministe, social et climatique qu’ils vivent au quotidien.
Jiboiana a été créé comme un pont entre les peuples d’Amazonie et l’international. Née à la suite de plusieurs voyages en Amazonie chez le peuple Huni Kuin, Leo et Laetitia ont souhaité apporter leur soutien aux communautés autochtones sur différentes thématiques : l’accès à l’eau potable, la conservation de leur langue maternelle et la reforestation de leur territoire. C’est un travail de terrain et de sensibilisation avec pour objectif de créer des alliances entre eux et entre nous et eux. Cette tournée continuera par la suite avec différents événements sur Paris, comme par exemple la Marche pour l’Amazonie le 14 octobre 2023, sur Bruxelles et sur Londres.
La délégation autochtone du Brésil était composée de (gauche à droite) : Nawa Sia du peuple Huni Kuin (Amazonie), Suhyasun du peuple Pataxó, chanteur et activiste, diplômé en chimie (Forêt Atlantique), Thaline du peuple Iny Karajá, chanteuse et activiste (Amazonie), Biruany et Bixku du peuple Huni Kuin (Amazonie) – © Louise Di Betta
Les terres indigènes sont les mieux préservées au monde. Les autochtones sont les gardiens et les gardiennes de cet équilibre si fragile et ils se revendiquent comme tel. D’après les Nations Unies, même s’ils ne représentent que 5% de la population mondiale, ils protègent 80% de la biodiversité. Il est urgent de sensibiliser et d’agir sur les problématiques climatiques, sociales et féministes qui ont lieu sur leur territoire.
Que signifie “Vivre la nature” ?
La lutte pour le climat ne se fera pas sans la lutte féministe
Devant nous, ces cinq jeunes activistes provenant des communautés Huni Kuin, Iny Karajá et Pataxó nous ont témoigné le même fait : il y a encore 20 ans, les femmes autochtones avaient très peu d’espace au sein même de leur communauté. La séparation était tellement forte dans certains villages, qu’il existait des langages genrés.
Depuis, un empouvoirement des femmes s’est produit (à échelle différente en fonction des communautés). Par exemple, le port du cocar (coiffe de plumes) par les femmes est encore mal accepté dans la communauté de Thaline. A contrario, chez les Huni Kuin, les femmes peuvent la porter, être des médecins, professeures, auto -entrepreneuses ou chamanes. Aujourd’hui les hommes s’ouvrent davantage et les femmes ont davantage de courage.
Sur la scène internationale, elles incarnent un féminisme autochtone dont Thaline et Biruany sont fières. “Notre rôle en tant que femme médecin [chamane] est d’être mère de toutes les communautés. La forêt est notre pharmacie naturelle. Elle nous apporte la lumière et nous aide dans notre quotidien” mentionne Biruany. Un réel mouvement matriarcal se met en place dans l’activisme écologique et social. La lutte pour la terre est aussi une lutte feministe car elles sont des semeuses. Elles ont un savoir à transmettre car ce sont elles qui cultivent la Terre Mère de générations en générations.
Les activités humaines mettent en danger la forêt et la condition de vie des autochtones
Lors de nos échanges, Thaline a réagi avec beaucoup d’émotions quant à la coupe de bois, légale ou illégale, qui a lieu juste à côté de son village. La culture du soja intensif remplace petit à petit la forêt. Ce même soja est ensuite exporté pour nourrir du bétail partout dans le monde. Sandy, représentante de Greepeace France présente à la conférence a rajouté : “En 2019, l’Union Européenne importait plus de 30 millions de tonnes de soja par an, majoritairement en provenance d’Amérique du Sud. Il est vrai que la consommation de viande rouge diminue en France, mais celle de la viande blanche fait le chemin opposé. Or, c’est la volaille le plus gros consommateur de soja”.
Les conséquences de cette déforestation se traduisent par un assèchement des terres et un réchauffement des rivières, et donc une augmentation de la température. Comme le précise l’UNEP, “les arbres refroidissent l’air ambiant en libérant de l’eau par leurs feuilles, tout comme les êtres humains se rafraîchissent en transpirant.”
Avertis de ce qui se passe sur leur territoire, ils ont mis en avant une autre problématique majeure causant des impacts irréversibles sur la biodiversité : le rejet du mercure dans les rivières par les orpailleurs illégaux. En effet, le mercure est grandement utilisé pour séparer l’or du minerai. Les orpailleurs utilisent en moyenne 1,3 kg de mercure pour récupérer 1 kg d’or. L’OMS précise dans un rapport de 2021 que “des troubles neurologiques et comportementaux peuvent être observés après exposition aux différents composés de mercure par inhalation, ingestion ou contact dermique”. La contamination de l’eau sur ces territoires est tellement forte, que même les femmes ne peuvent plus allaiter car on retrouve du mercure dans leur lait. La pollution de certaines rivières ne permet plus d’y pêcher non plus.
Il y a également de multiples incendies au Brésil, conséquences indirectes de l’assèchement des terres par la coupe du bois. La ville de Manaus a régulièrement une mauvaise qualité de l’air. Ce sont des événements qui n’avaient jamais lieu avant et maintenant ils sont de plus en plus fréquents.
Un contexte d’invisibilisation et de violence envers les autochtones
Avec beaucoup d’émotion, ces jeunes leaders et leadeuses nous expliquent qu’un génocide ethnique et culturel est en cours. La destruction de la forêt est réalisée par des entreprises internationales. Les populations locales ne s’enrichissent pas, la misère s’accentue. Lors de son mandat, Bolsonaro a introduit à nouveau des produits toxiques en faveur de l’agriculture intensive, qui avaient été interdits par le passé. L’agriculture intensive contamine également les villages aux alentours où des communautés entières tombent malades.
Les autochtones font face à beaucoup de racisme au Brésil. Ils sont régulièrement stigmatisés sans capacité intellectuelle, sans ambition, “bon à rien”. Thaline nous racontait que lors de son passage à The Voice au Brésil, elle a été énormément critiquée sur les chaînes télévisées brésilienne étant donné que c’est la première et unique autochtone à avoir participé à ce type de compétition.
Avec beaucoup de détermination, Suhyasun nous parle de l’invisibilité des autochtones au Brésil et dans le monde. Elle se traduit encore aujourd’hui par un manque de respect de leurs droits. Par exemple, sous Bolsonaro, la démarcation des terres indigènes a été bafouée. En 2021, le rapport du CIMI (Conseil indigéniste missionnaire) a enregistré 226 terres indigènes dans 22 États du pays où il y a eu des cas “d’invasions de propriété, d’exploitation illégale de ressources et de dommages à la propriété”. Ils ne sont plus libres de marcher n’importe où en forêt nous raconte Bixku. Ils sont vus comme un frein à l’économie mais Nawa Sia se défend, ce sont eux qui permettent un refroidissement de la planète à travers la protection de la Terre Mère. Et en effet boule de neige, ce sont eux qui permettent leur survie, notre survie.
Une tournée européenne pour sensibiliser le grand public et les politiciens européens
C’est la troisième année consécutive qu’une délégation Jiboiana se rend en Europe. Écouter, échanger, voir de ses propres yeux les problématiques auxquels ils font face en se rendant sur place, permet à ces politiciens européens de représenter leurs combats au niveau européen. C’est cette influence qui a joué en leur faveur lors de la loi de la Restauration de la Nature, votée en juillet 2023. C’est subtile mais perceptible. “Être entendus par les députés européens légitime leur survie et leurs actions” comme le précise Bixku.
Un effet holistique se met en place sur les communautés et sur le peuple européen en réunissant des fonds et les conditions pour réaliser les actions de l’association Jiboiana en territoire autochtone.
Leur présence sur les réseaux sociaux est aussi un puissant levier qui ne les rend pas moins autochtones. Bien au contraire. Ils peuvent désormais communiquer au monde leurs problématiques, leurs besoins, leurs cultures. Ils témoignent pour la forêt, “si la forêt avait Facebook, elle pourrait crier” métaphorise Suhyasun. Par ce biais, ils éduquent, sensibilisent des personnes qui vivent en dehors de leur territoire et qui pourtant, à travers leurs pratiques de consommation, impactent indirectement ces territoires reculés. La technologie leur permet de se mettre en mouvement.
Un espoir ?
Une convergence des luttes est visible au Brésil. Les autochtones se saisissent de l’espace médiatique et digital. Ils haussent la voix, se battent haut et fort pour la préservation de la Nature, de leurs traditions, pour nos vies. Si la déforestation continue à ce rythme là, l’Amazonie aura disparu dans 40 ans. Il devient vital de les écouter, de les comprendre et de remettre en question nos politiques et modèles de consommation européens.
Rédactrice : Louise Di Betta
Sources : Rapport du CIMI, ONU, Association Jiboiana, Greenpeace