La « décroissance » : voilà un mot qui suscite la peur. Mal comprise, souvent confondue (à tort ou volontairement) avec un retour à la « préhistoire », elle ne désigne pourtant qu’une révision de nos méthodes de production et de consommation. Le tout dans une volonté de préserver l’environnement pour assurer la pérennité de l’humanité.
Une idée vieille de deux siècles
Au début des années 1800, les économistes David Ricardo et Adam Smith évoquaient déjà la nécessité de limiter la production et la croissance, face au risque de s’épuiser sur des ressources limitées. À l’époque, ils parlaient de stagnation, voire de réduction de la production.
Bien que l’idéologie de la décroissance ait été formulée très tôt produire et consommer moins pour préserver les ressources de la planète –, ce n’est que deux siècles plus tard que l’idée d’un acte de décroissance prend réellement forme. Timothée Parrique, un économiste français, en a fait son combat. Il définit la décroissance comme une « réduction de la production et de la consommation, planifiée et pensée en amont, tout en tenant compte des inégalités et dans le souci du bien-être ».
Produire mieux, pas ne plus produire
La décroissance ne signifie pas simplement « produire moins », mais aussi « produire mieux ». Cela ne vise pas l’arrêt total de la production. Prenons l’exemple d’un iPhone. Au lieu d’acheter un nouveau téléphone tous les deux ou trois ans, imaginons des modèles conçus pour être utilisés pendant une décennie.
Sur une carrière professionnelle moyenne de 42 ans, on passerait d’une quinzaine de téléphones à seulement quatre ou cinq. Cette réduction représenterait une baisse de plus du tiers de la consommation individuelle, avec des économies de ressources importantes (matières premières, énergie, temps, etc.).
À l’échelle individuelle, cela peut sembler modeste. Mais à l’échelle mondiale, cela signifierait près de 850 millions de téléphones en moins vendus chaque année. Appliquée à l’ensemble des biens et services, cette logique aurait un impact considérable. Pour autant, nous continuerions à profiter de produits fonctionnels, mais plus durables et de meilleure qualité.
Un rejet politique et économique
En 2020, lorsqu’on évoque la décroissance, Emmanuel Macron déclare être « pour une société écologique, mais pas Amish ». Cette vision sceptique est partagée par d’autres figures politiques et économiques. Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, affirmait que la décroissance conduirait à « être moins bien soigné, se déplacer moins, et offrir moins de prospérité à nos enfants ».
Bernard Arnault, président de LVMH, qualifiait quant à lui cette approche de « dramatique pour l’humanité ».
Le risque du chômage de masse
Prenons l’exemple de la téléphonie mobile : une réduction d’un tiers de la production entraînerait une diminution proportionnelle des besoins en main-d’œuvre. Cela pourrait provoquer une hausse importante du chômage.
Jean-Marie Harribey, économiste, souligne que la décroissance néglige deux aspects : « les tendances démographiques et les besoins humains ». En effet, en plus de l’augmentation prévisible des chômeurs, il faudrait aussi composer avec la croissance de la population mondiale. Selon des projections, la population mondiale pourrait augmenter de moitié dans les 50 prochaines années.
Contrôler la population : une solution controversée
Certains évoquent une baisse drastique de la population mondiale comme solution. Le chiffre de trois milliards d’êtres humains est souvent avancé comme un seuil d’équilibre. Cependant, atteindre un tel objectif nécessiterait des politiques de contrôle démographique extrêmes, rappelant la politique de l’enfant unique menée en Chine.
Conclusion
La décroissance offre une réflexion sur la manière dont nos sociétés peuvent s’adapter à un monde aux ressources limitées. Cependant, sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions : comment concilier réduction de la consommation, justice sociale et croissance démographique ? Ces défis, s’ils ne sont pas insurmontables, nécessitent une transition planifiée et réfléchie, avec une prise en compte des conséquences sociales et économiques.
Benoit Dupuis