Le Tage, plus grand fleuve d’Espagne, essentielle source d’eau qui irrigue le potager de l’Europe, s’assèche de jour en jour. L’eau est devenue une source de tension dans la péninsule ibérique et s’entame une vraie guerre de l’eau.
L’assèchement du Tage pose un problème majeur lorsque l’on considère la région sud-est de l’Espagne comme le « potager de l’Europe ». En effet, depuis les années 1980, elle envahit nos supermarchés de ses fraises, de ses pastèques et de ses tomates, issues d’une agriculture intensive. Si le Tage est à sec, le pays tout entier pourrait souffrir des conséquences terribles, déjà constatées dans les régions principales de maraîchage : Alicante, Almeria et Murcie. Celles-ci ont déjà du mal à irriguer leurs champs. Castille-La Manche, anciennement appelée « La Mer de Castille » du fait de ses nombreux lacs, est, quant à elle, déjà un désert.
Si l’Espagne souffre, c’est aussi tout le continent européen qui en subira les conséquences. 636 000 hectares (soit 27,1 % du territoire) sont consacrés au maraîchage. Un tiers des fraises que nous consommons sont produites là-bas. Le pays se place à la tête des producteurs européens de fruits à baies et fait de l’agriculture son pilier économique.
Le Trasvase Tajo-Segura, une fausse bonne idée.
Tout commence lorsque le général Franco décide de développer l’économie de l’Espagne. Son but est de faire de son pays un des premiers cultivateurs de l’Europe, grâce aux régions de Murcie, Alicante et Almeria, zones particulièrement arides. Se met alors en place la construction du Trasvase Tajo-Segura, un système de déviation d’eau qui détourne 70 % du Tage, principalement utilisé pour l’irrigation des nouvelles zones de cultures espagnoles. Les anciennes régions arides de Murcie, Alicante et Almeria deviennent alors le Potager de l’Europe que l’on connaît aujourd’hui.
Aujourd’hui, les nouveaux cultivateurs irriguent leurs champs et multiplient leurs territoires sans prendre en compte les conséquences sur la faune, la flore et sur le futur du Tage. Très vite, les régions les plus humides d’Europe se sont vidées de leur ressource la plus précieuse : l’eau. C’est le cas de Castille-La Manche, région qui accueillait de nombreux visiteurs pour son temps agréable, ses immenses marais et la fraîcheur du Tage. L’industrie touristique qui s’était articulée aux alentours de la région s’est évaporée aussi vite que ses nappes phréatiques.
L’eau : source de tensions politiques en Espagne.
Additionné à l’absence de pluies abondantes que l’on a connue dans toute l’Europe, le Trasvase divise les opinions. Les agriculteurs veulent conserver leurs activités, pendant que l’urgence climatique alerte les politiciens.
En effet, à l’approche des élections législatives et régionales, le gouvernement a proposé un nouveau plan eau. Il vise à réduire de 38 à 27 hectomètres cubes mensuels, d’ici 2027, le plafond des transferts vers le Trasvase, ce qui équivaut à une baisse des prélèvements de 30 %. Si les dangers qui pèsent sur la faune pourraient être limités, et le Tage réhydraté, les agriculteurs de la région s’indignent de l’impact que ce plan pourrait porter à leurs activités. Selon le SCRATS (Syndicat central des irrigants de l’aqueduc Tage-Segura), cette réforme entraînerait l’abandon de 12 200 hectares de cultures et la perte de milliers d’emplois.
Deux camps se forment alors, créant parfois des unions étonnantes. D’un côté, les socialistes de Valence, associés avec les conservateurs du Parti Populaire de Murcie demandent l’abandon du décret. De l’autre côté, les socialistes de Castille-La Manche soutenus par l’exécutif de gauche et quelques élus de droite veulent, eux, l’exécution du projet du gouvernement. Celui-ci, pour justifier sa réforme devant les agriculteurs, affirme se conformer à la jurisprudence de la Cour Suprême ainsi qu’aux règles environnementales de l’Union Européenne.
Face au manque d’eau, l’État promet d’investir dans des alternatives, comme la désalinisation. Cependant, les exploitants mettent en avant les problèmes de cette technique. Premièrement, l’alternative n’est pas écologique : elle est énergivore et génère des déchets nocifs pour l’écosystème marin. Deuxièmement, cette eau manque cruellement de nutriment pour une irrigation efficace et sa désalinisation est coûteuse. Sa production revient très chère à l’Espagne : 1,4 € par litre d’eau, le même prix qu’un litre d’essence.
Aujourd’hui, l’état du Tage est alarmant pour tous. Il se situe aux portes de la France et son assèchement impactera tout le continent européen. Il n’est pas le seul dans cette situation. D’autres fleuves se vident comme l’Euphrate et le Tigre au Moyen-Orient. La guerre de l’eau dépasse les frontières de l’Europe et menace notre écosystème. La réflexion qui doit se poser aujourd’hui est celle de la continuité d’un système agricole en inadéquation avec les exigences environnementales qui s’imposent à notre siècle.
Sources : AFP
Rédactrice : Angèle Hamel