Le Met Gala, un tremplin phénoménal pour certains comme un pic de surproduction pour d’autres. Cette semaine, l’événement phare du monde de la mode a fait son grand retour. L’urgence climatique prend de plus en plus de place sur les célèbres marches du Met. Mais ces actions sont-elles réellement conscientisées ou s’agit-il d’un moyen de cacher la surproduction derrière l’événement ?
Le Met Gala pour les moldus
Pour comprendre ce qu’est le Met Gala aujourd’hui, il faut faire un bond dans le temps et revenir en 1937.
Tout commence lorsque Irene Lewisohn, philanthrope et directrice d’une école de théâtre, décide de créer Le musée de l’art du Costume. Quelques années plus tard, ce musée fusionne avec le Metropolitan Museum of Art, en devenant un département plus connu aujourd’hui sous le nom de Costume Institute. Seulement, la mode n’étant pas considérée comme un art majeur, cette nouvelle branche du musée est la seule à devoir s’auto-financer. L’idée est donc venue d’organiser une soirée caritative pour lever des fonds et s’assurer du bon fonctionnement de l’institut.
Les participants sont triés sur le volet. A l’époque il s’agit principalement de membres de la haute société new-yorkaise ou de l’industrie de la mode. Cette soirée permet de récolter de l’argent mais lance aussi l’exposition annuelle de l’Institut. Un dress code est annoncé quelques mois à l’avance, en lien avec la future exposition. En 1995, Anna Wintour, (rédactrice en chef chez Vogue depuis 1988) va une nouvelle fois passer à la vitesse supérieure et métamorphoser l’évènement en ce qu’il est aujourd’hui.
Derrière les paillettes et le glam
Plus complexe que l’organisation d’un plan de table de mariage, le Met Gala est pris très au sérieux par son organisatrice. Les invités sont gardés secrets jusqu’à quelques minutes avant le début de l’événement. Le mystère autour de la cérémonie rend donc l’événement encore plus suivi par toutes les fashionistas. Rien n’est laissé au hasard. Le thème de la soirée est annoncé quelques mois avant, donnant le temps nécessaire aux designers de se battre, pour représenter la nouvelle it-girl du moment. C’est a qui sera le plus créatif, le plus novateur et qui disposera du portefeuille le plus fourni, bien évidemment. Car oui, recevoir la prestigieuse invitation du Met à un coût. Anna Wintour ne perd pas le nord. Si le billet d’entrée coûtait la modique somme de 50 dollars en 1948, il est à présent autour de 75000. Pour environ 400 à 450 invités, l’Institut toucherait aux alentours de 33 millions de dollars. Plutôt pas mal.
Tenues présentes lors de l’exposition du MET en 2023. À gauche, la tenue portée par Blake Lively en 2023.
« Toutes ces choses nous ont amené à la crise climatique. »
Devenu depuis plusieurs années un des tapis rouges les plus suivis, certains décident d’utiliser ce tremplin pour parler des causes qui les animent. A l’ère de la surproduction, quelques personnalités nagent à contre-courant. En 2022, pour le thème “L’Âge doré”, la chanteuse Camila Cabello décide d’aborder les problématiques derrière ce type d’événement. « Toutes ces choses nous ont amené à la crise climatique » raconte t-elle en après avoir pris connaissance du dress code. Rappelons que la mode est l’une des premières industries les plus polluantes de la planète. Le textile se place 3e consommateur d’eau derrière la culture du blé et du riz. Si l’upcycling est devenu une pratique de plus en plus populaire, la haute couture peine encore à sauter le pas. Conçu par Prabal Gurung, la robe recyclé de la chanteuse est en deux pièces, dans un tissu blanc et floral.
Peu nombreuses sont les maisons de couture qui pensent pouvoir allier créativité et responsabilité. Mais la même année, c’est aussi Billie Eilish, en collaboration avec Alessandro Michele qui alerte sur l’urgence climatique. Directeur artistique de Gucci à l’époque, le designer est connu pour son amour de l’ancien et du vintage. La maison italienne a, depuis plusieurs années déjà, mis en lumière son plan de développement durable pour réduire son empreinte environnementale. Faite sur mesure, la robe de Billie Eilish est entièrement fabriquée à partir de tissu recyclé et rentre complètement dans le dress code imposé.
Green Carpet challenge
En 2016, Emma Watson avait aussi choisi de faire une apparition engagée sur les marches du Met. Très connu pour son implication dans différentes causes comme l’éducation et l’égalité des sexes, l’actrice utilise chaque médiatisation pour parler des sujets qui l’animent. C’est dans une robe bustier en plusieurs pièces qu’Emma Watson apparaît. Sa tenue a été complètement conçue pour pouvoir être reportée. En effet, le bustier comme la traîne peuvent être réutilisés indépendamment. L’actrice passe ici un message fort. Si l’espérance de vie des costumes réalisés pour le Met Gala ne dépassent pas quelques heures, Emma Watson propose une alternative.
C’est le cabinet Eco Age qui a aidé Calvin Klein dans la création de ce look. Créée par Livia Firth, Eco Age est une agence de conseil spécialisé dans la mise au point de solutions écologiques. Ils travaillent notamment sur le projet “The Green Carpet Challenge”, permettant aux marques et aux célébrités de mettre en avant une mode plus durable. Pour cela, l’agence remet un certificat “green carpet” aux marques répondant à une dizaine de critères autour de la durabilité de leur création.
Tenues de l’exposition du Costume Institute, 2023.
La tendance des robes d’archives
Depuis plusieurs années, le phénomène des robes d’archives fait sensation. Dans la lignée de la tendance pour l’upcycling, le principe est simple : réutiliser des looks iconiques. Mais attention, il ne faut pas se faire avoir par le mot “archive”. Car oui, il s’agit simplement de recréer des robes de collections passées, ne stoppant donc pas vraiment le processus de surproduction. Même si les plus férus de mode sont ravis de passer en mode enquêteur à qui retrouvera la référence le premier, ce n’est pas réellement une démarche écologique. Sauf, si vous piquez d’un musée une robe dernièrement portée par Marilyn Monroe (personne n’est visé), que vous faites une taille mannequin (rare donc), ou que vous reportez votre robe de mariage (coucou Emma Stone). Dans ces cas-là et seulement là, il s’agit réellement d’une archive.
Et oui, en 2022, Kim Kardashian avait enflammé la toile en sortant la robe de Marilyn Monroe du Musée, pour la porter lors du tapis rouge. Si l’on peut tout de même saluer son audace, la robe en a pris un sacré coup. Sortir une robe aussi emblématique d’un musée ne sera jamais une bonne idée. Surtout suivi d’une interview révélant les kilos perdus pour rentrer dans la dite robe, quelques semaines avant l’évènement.
Quelques célébrités, souvent mannequins à leurs heures perdues, peuvent se permettre de rentrer dans une robe d’archive sans trop de modifications. L’actrice HoYeon Jung avait porté une mini robe en jean venant de la collection croisière Louis Vuitton de 2017. Zendaya, en collaboration avec son styliste Law Roach, ravit aussi les fashionistas en proposant régulièrement des tenues d’archives. Sa taille de guêpe lui permet de rentrer dans presque toutes les productions de haute couture, qui rappelons-le bien, ne sont pas du tout inclusives. Même s’il s’agit d’une tendance, pour une fois, il faut l’accueillir les bras ouverts, car elle pourrait bien réduire les émissions globales de gaz à effet de serre.
Luttes écologiques et animales : le cas Billie Eilish
Vegan, Billie Eilish fait partie de cette Gen Z qui s’engage plus ardemment pour le climat. La chanteuse avait fait encore plus fort que sa robe recyclé Gucci. En 2021 pour le thème « En Amérique : un lexique de la mode », Eilish est approchée par la grande maison de mode Oscar de la Renta. L’objectif est de recréer un look de Marilyn Monroe. Mais le problème est le suivant, Alex Bolen, PDG de la marque, utilise toujours par tradition, de la fourrure dans ses collections. La chanteuse est connue pour son engagement dans de nombreuses causes et les luttes animales en font bien partie. Elle propose alors un deal, si la marque accepte de stopper l’utilisation de fourrure dans toutes ses prochaines collections, elle portera leur création lors du Met Gala. Le rayonnement planétaire de la jeune chanteuse a très rapidement décidé le PDG à accepter la proposition. C’est ce qu’on appelle un grand moment de mode.
Il faut toutefois rester alerte sur la démarche de la maison de couture, qui se vante se tourner vers la modernité, quand il s’agit plus d’une belle opportunité déguisée. La marque s’offre avec Billie Eilish une clientèle plus jeune et une visibilité plus large. La chanteuse a frappé fort et donne l’exemple à ses comparses. C’est pour dire l’importance du Met Gala dans la fashion-sphère et le pouvoir que détiennent les jeunes artistes.
Activiste en accessoire
En 2022, Amy Schumer, humoriste et actrice, décide de venir accompagnée de l’activiste Xiye Bastida. Cofondatrice de Re-Earth, Bastida milite pour le climat depuis plusieurs années. Elle est connue pour son implication dans le projet Fridays for Future à New York, une grève étudiante pour le climat. D’origine mexico-chilienne, elle lutte aussi pour la visibilité des autochtones et des immigrants.
La jeune femme s’est donc rendu au Met, au bras d’Amy Schumer. Sa tenue vient tout droit de son armoire, ne voulant pas acheter de nouveaux vêtements pour l’évènement. Comme accessoire, la jeune femme a choisi d’arborer les bijoux indigènes de sa famille.
Cependant, malgré l’intention de Schumer, son attitude lors des interviews sur le tapis rouge questionne. L’humoriste ne se cache pas de “détester” le Met Gala, désinvolte et nonchalante elle passe complètement à côté de la cause défendue et se montre plus opportuniste qu’autre chose. Les commentaires sous la vidéo vont droit au but : “ amy schumer drunk af dressed by an indigenous designer whose name she can’t pronounce”, mais encore “You said you brought a climate change activist but didnt talk about what organization they were with or what they were fighting for”. Schumer loupe une occasion de montrer un réel intérêt pour l’écologie.
Mais où sont les hommes ?
Le Met Gala présente un vrai clivage homme/femme, que ce soit par le manque d’implication dans le thème par exemple. Les personnalités queer comme Sam Smith, Dan Levy, Wisdom Kaye font parti des seuls à se démarquer. Cette année, Sam Smith profite de son interview sur le tapis rouge pour rappeler le manque d’inclusivité dans la mode. En 2021, le champion de Formule 1, Lewis Hamilton avait payé une table entière pour mettre en avant des jeunes créateurs noirs, afin de leur donner plus de visibilité. En plein mouvement Black Lives Matter, le pilote ne voulait pas rester silencieux sur le sujet. Pour ce qui est des luttes environnementales, très peu d’hommes se sont montrés soucieux du réchauffement climatique ou de la surproduction. En 2022, Shawn Mendes est apparu sur le célèbre tapis rouge dans une tenue Tommy Hilfiger réalisée à partir de deadstock, qui sont des restes de tissus.
En effet, de nombreuses études démontrent la différence dans l’éveil environnemental en fonction du genre. En 2018, l’Université de Yale rapporte que 42% des hommes se sentent moins concernés par les causes écologiques que les femmes. Mais le milieu social et l’âge sont des facteurs importants. La jeune génération est beaucoup plus engagée et les actions au Met Gala en sont l’exemple concret. Terra Nova révèle dans un article sur l’écologie et le changement climatique, que 45 % des femmes de 16–24 ans font plus attention contre 27 % des hommes du même âge.
Tenues de l’exposition du Costume Institute, 2023.
Met Gala 2024, un dress code vert
Cette année, les thèmes étaient “Les jardins du temps” et “Beautés endormies”. Une opportunité parfaite pour alerter sur la surproduction et l’écologie. Cependant, les célébrités sont peu nombreuses à avoir sauté le pas. La chanteuse Tyla est apparue dans une tenue faite en organza, un tissu assez rigide, et en sable. Réalisée sur mesure avec l’aide d’un moulage fait sur le corps de la chanteuse, la robe épouse parfaitement ses formes. D’ailleurs, impossible pour Tyla de monter les escaliers, ne pouvant absolument pas bouger sous sa robe. Même si sa tenue est sublime, la démarche est purement esthétique. Avec l’attention forte suscitée par sa robe, la chanteuse manque une opportunité en or d’aborder le réchauffement climatique.
Cara Delevingne s’est rendue cette année dans une tenue faite avec 500 diamants de synthèse. Conçue par Stella McCartney en collaboration avec la marque de joaillerie Vrai, la tenue de la mannequin démontre qu’il est possible de rester créatif tout en faisant un pas pour stopper la surproduction et l’extraction de diamants naturels. La designer a déclaré sur le tapis rouge : “Nous apportons la durabilité, nous apportons l’innovation, nous sauvons les animaux”. Malgré cela, cette édition du célèbre Met Gala s’est montrée peu engagée. Comme McCartney, certains jeunes designers essayent aussi de réinventer une mode plus respectueuse. L’accès au célèbre tapis rouge ne leur est pas encore très accessible, mais ils témoignent déjà d’une conscience environnementale plus forte comme Marguerite Coppa, créatrice du label Haremza.
Rédactrice : Lucile Pétrus / @layerslepodcast