Comment réinventer une mode respectueuse et se reconnecter aux valeurs essentielles ? Cette question-là, la créatrice Marguerite Coppa l’explore à travers son art. Le bilan sur l’industrie de la mode est sans équivoque : aujourd’hui, les grandes marques du textile ont une empreinte carbone considérable, en plus de bafouer les droits humains pour produire toujours plus de vêtements. Loin de baisser les bras face au fléau de la fast-fashion*, la créatrice du label Haremza nous partage sa conception bien à elle de la mode…
COMBATTRE LE CAPITALISME PAR LA MODE
Dès l’enfance, Marguerite Coppa exprime le besoin de créer et ce, avec la mode. Au fil du temps, elle s’avère devenir le moyen d’expression de ses convictions. En septembre 2023, l’artiste poste une vidéo sur sa page Instagram pour annoncer le lancement de son nouveau projet : Péplum. Elle y présente sa démarche artistique face aux désastres provoqués par le capitalisme. Fabriquer un vêtement est à l’origine un savoir-faire, un véritable art de création. Aujourd’hui, ce pan de l’artisanat est mis à mal par la course au profit et à la surconsommation. À travers le label Haremza, la créatrice aspire à retourner à l’essentiel.
À travers la mode, Marguerite Coppa raconte notre monde et souhaite en proposer une autre vision. « Raconter des histoires et jouer sur l’esthétisme me permettent de me confronter à l’urgence climatique, entre autres. C’est un moyen pour moi de “romantiser” la vie, de la supporter en y apportant de la beauté » explique-t-elle. Ce pouvoir de transformation, elle le tient de sa grand-mère, Haremza.
PEPLUM OU LA MODE POST-APOCALYPTIQUE
À travers Péplum, l’artiste lance le projet ambitieux de créer une collection “post-apocalyptique”. Pour la présenter, la directrice artistique met en scène « un peuple vêtu dans les ruines de nos civilisations perdues », où les mannequins, projetés en 2148, posent dans des paysages désolés.
« Je propose une vision du futur un peu trash. »
Marguerite Coppa
Elle déploie un récit, autour de sa collection, empreint des préoccupations environnementales et sociales inhérentes à notre monde contemporain. Marguerite Coppa ne se définit pas strictement comme une styliste mais plutôt comme une artiste passionnée par la création de “contes visuels”. Péplum est en effet une sorte de conte où des modèles sont transformés en des orphelins du capitalisme, une génération imaginée par la styliste, qui serait née au lendemain de la chute de notre système. À l’image d’Adam et Ève, ils évolueraient sur Terre sans ancêtres capables de témoigner du monde d’avant.
Ainsi Marguerite Coppa insère une possibilité de refaire le monde, de s’emparer des “déchets” de nos sociétés consuméristes pour les transformer en quelque chose de beau. Si l’upcycling* n’est pas un concept nouveau, cette amoureuse de la mode le pousse à son paroxysme. Malgré un premier abord inquiétant de Péplum, une grande poésie et une certaine beauté en résultent.
La créatrice évoque volontiers l’écrivain et cinéaste engagé Cyril Dion pour parler de sa vision de l’art. Il croit aux pouvoirs des beaux récits. Ils ont la capacité de questionner notre rapport au monde et d’inviter tout un chacun à changer son mode de vie. Proposer de nouveaux imaginaires, dessiner une société post-capitaliste pour mieux la concevoir, sont une des clés pour provoquer une évolution des mentalités.
Raconter des histoires et remettre le rêve au centre de nos vies, cela a le pouvoir de changer la société. Cyril Dion et Marguerite Coppa sont portés par un même espoir, celui de bousculer l’ordre établi grâce à l’art.
LES PIÈCES DE LA COLLECTION
En guise de crinolines, les abats-jour de sa grand-mère Haremza ornent le bassin des modèles. Symbole d’opulence des élites au XIXème siècle, elles incarnent et dénoncent le phénomène des classes sociales, encore actuel. À l’ère capitaliste, alors que les riches s’enrichissent, les pauvres… s’appauvrissent.
Dans la collection, enjeux sociaux et enjeux environnementaux vont de pair : des textiles issus de la pêche intensive tels que des filets fantômes sont transformés en perruques. Ceux-ci matérialisent la course au profit, dénoncée par l’artiste, et ses conséquences dont la pollution des océans.
Comme Baudelaire transformait la boue en or, Péplum extrait le beau des déchets de l’humanité.
PROPOSER PLUS QUE DÉNONCER
« La collection “post-apocalyptique” Péplum est avant tout une réflexion artistique. Mon but premier est de questionner notre société, dont l’industrie de la mode, sans donner de réponses pré-conçues » explique-t-elle. Son processus de réflexion l’a amené à considérer que les marques éco-responsables ne sont pas une réponse satisfaisante pour contourner la logique de consommation.
À travers son label Haremza, Marguerite Coppa aspire à incarner un modèle de mode qui ne cherche pas le profit à tout prix ni une consommation déraisonnée. Cette quête la place en position de militante par le simple fait d’adopter une posture encore rare dans le milieu du vếtement. Au-delà de seulement dénoncer, son art tend à proposer des alternatives. « Je ne veux pas produire pour produire et je veux positionner ma marque en conséquence. Je m’interroge sur comment la mode pourrait continuer à exister sans vendre des séries de vêtements à la chaîne. »
LE MOT DE LA FIN
La mode peut être fédératrice et participer au changement de notre société. La créatrice de Haremza souhaite la réinventer avant tout pour accomplir un rêve d’enfant, celui de créer… « pas pour vendre, pas pour croître, pas pour avoir la fame ou l’argent et pas pour graviter dans des cercles. Non, juste pour assouvir un naïf besoin viscéral de m’exprimer, et juste par instinct, celui de chercher le beau, partout. Et puis, vient la vie d’adulte, et quand on fait des robes, on doit les vendre. […] Parce que la mode, avec toute son industrialisation, est un milieu précaire pour l’artisanat. Elle s’inscrit d’abord dans le capitalisme car elle n’est financée que par la croissance incessante et la recherche de profits à travers la séduction des consommateurs. Et c’est avec tout ça, que je ne suis pas alignée. Je suis pour le retour à nos instincts primaires, à la vie sauvage, à l’empathie pour tous les êtres sensibles, je suis pour la DÉCROISSANCE. Et dans une vie ou j’ai le luxe d’avoir le choix, je ne veux ni produire pour vendre, ni me réjouir uniquement parce que Dua Lipa porterait un de mes designs. Moi aussi, j’voudrais pouvoir participer à la décroissance sans pour autant devoir changer mes rêves d’enfant, ceux de simplement vouloir créer. Alors je prends du temps pour moi pour y réfléchir, pour penser à comment faire vraiment une lingerie habillée, en pleine conscience de l’urgence universelle face à laquelle on ne peut se résigner. Parce que nous sommes, avant notre individualité, des citoyens éphémères de l’oikos, la maison commune. »
*LEXIQUE
Fast-fashion : “La fast fashion (anglicisme, également ultra-fast fashion) est un segment de l’industrie vestimentaire qui se caractérise par le renouvellement très rapide des vêtements proposés à la vente, plusieurs fois par saison, voire plusieurs fois par mois”. Source : Wikipédia.
Upcycling : “L’upcycling consiste à récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les transformer en matériaux ou produits d’utilité supérieure. Il peut par exemple s’agir de transformer de vieux vêtements en pièces de mode”. Source : Wikipédia.
CRÉDITS
Interview d’@ephdaisy par @evademoi.
Article rédigé par Coline Champéroux.
POUR ALLER PLUS LOIN
Ce sujet vous a intéressé ? La Cité des Sciences propose une exposition (jusqu’à septembre 2024) sur la seconde vie possible de nos “précieux déchets” grâce au travail de designer. Plus d’informations ici : https://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/precieux-dechets