Depuis des siècles, les saumons remontent la rivière américaine du Yukon par milliers, alimentant animaux et humains. Et pourtant, l’année dernière, les saumons sont remontés si peu nombreux, qu’il est devenu interdit de les pêcher. Ils ont alors été livrés par hydravion (oui vous avez bien lu) aux communautés de natifs, qui en ont besoin pour survivre !
La rivière du Yukon, longue de 3 200 kilomètres, prend sa source au Canada, traverse l’État américain d’Alaska, et termine dans la mer de Béring. Tout le long de cette rivière vivent des communautés de natifs tels que les Gwich’in, les Koyukon ou encore les Yup’ik. Ces peuples se nourrissent grâce à ce qu’ils trouvent dans la nature, mais aussi avec certains produits transformés qui leur sont livrés en avion ou en bateaux. Le saumon étant au centre de leur alimentation.
Le cycle de vie d’un saumon
Le saumon se pêche au moment de sa migration, c’est le moment où il retourne en eau douce pour frayer, déposer et féconder leurs œufs. Trois espèces de saumons remontent la Yukon : le chinook/king, le chum/dog et le coho/silver. Le saumon sockeye/red ne remonte pas à proprement parler la Yukon mais joue aussi un rôle clé. Ces espèces mettent environ 5 ans avant de remonter une rivière pour aller frayer. Durant ces nombreuses années, les saumons font face à de nombreux défis et prédateurs. Bref, cette remontée est loin d’être une balade paisible.
Que se passe-t-il ?
Depuis quelques décennies, la quantité de saumons est en diminution sur la Yukon. Mais depuis deux ans, le phénomène s’est intensifié. Trop peu de saumons reviennent frayer. La pêche de subsistance n’est même plus autorisée sur cette rivière, c’est-à-dire que pêcher son poisson pour le manger n’est plus possible. Il n’est donc même plus question de le vendre.
Cette année, le nombre de chum était d’environ 240 000, comparativement à une migration historique d’un million. La migration du chum est la troisième plus faible jamais enregistrée (1974-2021).
Pour le coho c’est la deuxième plus faible (1995-2021). 100 000 poissons ont été recensés lors de leur migration par rapport à une migration historique de 234 000 poissons.
Le chinook est en chute également. La saison 2022 du chinook a été « de loin la pire jamais enregistrée » : la population en migration est estimée à environ 40 000. Imaginez-vous, l’an passé était déjà appelé une année terrible avec 150 000…!
Le saumon est la source principale de subsistance pour les communautés de natifs, notamment pour les protéines qu’ils apportent. Chaque année, ils passent plusieurs semaines à le pêcher, le sécher, le fumer. C’est ce qui leur permet de survivre face aux hivers du grand nord. Or, cette pratique ancestrale est aujourd’hui en danger.
C’est pourquoi, pour pallier cette disparition, des villages de communautés de natifs localisés le long de la rivière du Yukon, se font désormais livrer des poissons par avion.
Les régions de Chignik et de la Yukon ont pu recevoir 6 350 kg de saumons. Dans la communauté de Holy Cross, ce fut plus de 900 kg de saumons rouges qui y ont été livrés par avion cette année.
Ces livraisons sont possibles car dans la baie voisine, de Bristol, l’année 2022 fut un record : 69.7 millions de saumons rouges pêchés. Toutes les espèces de saumons ne sont pas impactées par ce phénomène. Également, Alaska Longline Fishermen’s Association, une alliance de petits pêcheurs commerciaux engagés dans la pêche durable, a été capable de donner 8618 kg de saumons rouges à différentes communautés.
Quels sont les causes de ce phénomène ?
A l’heure actuelle, les différentes causes mises en avant sont :
- La surpêche : incluant le chalutage commercial et la prise accidentelle (by catch)
- Le réchauffement des eaux :
- les saumons deviennent des proies de nouveaux prédateurs
- le stress de la chaleur (>18°C)
- la modification du calendrier de la floraison du plancton et la distribution des petits invertébrés que les poissons mangent, créant un chaos potentiel dans la chaîne alimentaire.
- Le dérèglement climatique : les sécheresses (qui tendent à s’accentuer) empêchent les saumons de retourner dans les rivières pour frayer.
- Les fermes d’élevage de saumons : souvent infectés par des parasites comme les poux de mer et le réovirus pisciaire, ces saumons peuvent les transmettre aux populations de saumons sauvages.
Cette chute de saumons a de multiples impacts à court et long terme.
Tout d’abord, la disparition des poissons rend la vie le long du fleuve plus difficile.
A Eagle Village, l’accès routier est saisonnier ou inexistant (le plus proche est souvent à des dizaines de kilomètres). La pêche n’est pas un passe-temps ; c’est une nécessité. Cet isolement du système routier implique alors une pression pour ces villages pour trouver d’autres sources de protéines. D’autant que les produits d’épicerie sont chers (3,8 litres de lait peut coûter près de 10 $) et cela s’accroît avec les crises mondiales actuelles.Pour ces communautés, les camps de pêche aident à transmettre la culture entre les générations. La disparition des saumons implique indirectement des futures générations moins connectées aux liens que leurs ancêtres entretenaient avec ces terres et ces eaux.
Un changement profond
Cette raréfaction du saumon met en danger les traditions, la culture, mais menace surtout la survie de ces communautés de natifs présents sur ces territoires depuis des milliers d’années.
Le saumon est une espèce clé car elle apporte des nutriments qui viennent de l’océan et qui va jusqu’à l’intérieur des terres. Ce transfert permet la croissance et donc la vie de toutes les espèces animales et végétales. Au-delà du fait que les villages de ces autochtones soient mis en péril, la faune et la flore dépendent aussi de la remontée des saumons (ours, aigles, arbres…etc).
Des saumons livrés en avion aujourd’hui, mais jusqu’à quand cela sera-t-il possible ? Et à quels prix pour l’environnement et sa population ?
Sources : Alaska Department of Fish and Game, Kurlansky – SALMON A Fish, the Earth, and the History of Common Fate, Alaska Public Media, National Oceanic and Atmospheric Administration, Public Media for Alaska’s Yukon-Kuskokwim Delta, le travail photographique de Acacia Johnson
Rédacteur : Louise Di Betta