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« Tout coûte cher » : à Paris, des étudiants de plus en plus précaires
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L’association Cop1 organise quatre distributions vestimentaire et alimentaire par semaine. Lucas Ciaravola ©
Créée en réponse à la crise sanitaire, l’association Cop1 organise des distributions alimentaires et vestimentaires chaque semaine, dans 23 villes en France. Les bénévoles de l’antenne de Paris s’inquiètent de la précarité grandissante à laquelle font face leurs bénéficiaires. Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale en octobre.
L’argent est le nerf de la faim. Le thermomètre affiche 4°, rue Santeuil, à deux pas de l’Université Paris 3. Une trentaine d’étudiants attendent tranquillement dans l’ombre, ce 27 novembre au soir à Paris. Parmi eux, Amram* et Chaman*, habillés chacun d’une longue veste épaisse. Ils détaillent leurs futurs achats : des légumes et des paquets de pâtes. Faute de moyens, les deux étudiants, tous deux âgés de 26 ans, bannissent les œufs et les céréales de leur panier de course habituel, car trop chers. Ces produits ne sont pas proposés ce soir. « Je n’achète pas de viande en grande surface », regrette de son côté Miguel*, en stage à Paris et originaire du Brésil.
« Un problème systémique »
Cette scène de file à rallonge rappelle les images d’étudiants patientant de longues heures dans la rue pour pouvoir manger, lors de la crise sanitaire. Comme d’autres, Amram* et Chaman* sont venus bénéficier de la distribution vestimentaire organisée par Cop1. Créée en septembre 2020, en réponse au covid, l’association vient en aide aux étudiants en situation de précarité. Benjamin Flohic, son cofondateur, déroule un court historique. « Pendant le Covid, des amis m’ont dit qu’ils allaient devoir aller aux Restos du Coeur », confie le conseiller régional en Bretagne. Interpellé par leur situation préoccupante, il monte Cop1. Aujourd’hui, l’association a atteint la barre des 5000 bénévoles. Elle est présente dans 23 villes en France.
Depuis la fondation de cette structure qui se qualifie comme « apartisane », la situation des jeunes ne s’est pas améliorée, au contraire. Pour chiffrer cette précarité grandissante, l’association a collaboré avec l’IFOP. Les deux organismes ont produit un baromètre annuel pour 2024. Ainsi, 20% des étudiants ont déjà eu recours à l’aide alimentaire, sur un total de 1 722 personnes interrogées. En préambule de cette étude, Cop1 dénonce « un problème systémique ».
Il y a quelques mois, près de la moitié des étudiants inscrits aux distributions vestimentaires organisées à Paris s’y rendaient. « Désormais, nous sommes sur une proportion de 60% », s’inquiète Sara Galeazzi, responsable bénévole. Ces chiffres sont sensiblement les mêmes concernant la partie alimentaire. Pour pouvoir y bénéficier, les étudiants doivent répondre à deux pré-requis. Le premier est de pouvoir présenter sa carte d’étudiant sur place. Le second consiste à réserver sa place sur internet au préalable. Le coup de pouce proposé est gratuit et sans conditions de ressources.
Les étudiants étrangers surreprésentés
Dans cette population de bénéficiaires, figurent des étudiants étrangers. Ils ne sont pas mentionnés dans le baromètre. « Nous avons des communautés indiennes et pakistanaises », explique Sarah Galeazzi. C’est le cas de Kader*. Il se fond dans une file compacte, habillé en noir. L’étudiant de 26 ans, d’origine Pakistanaise, ne bénéficie d’aucune aide financière. Il vit avec ses économies. « J’essaie de trouver un travail », s’exprime-t-il en anglais. Celui qui suit des cours à l’Université Gustave Eiffel apprend le français, non sans difficultés. Lui vient pour une distribution vestimentaire. C’est le second volet d’action de Cop1. 200 bénéficiaires sont attendus. « C’est le double pour l’alimentaire », confie Sarah Galeazzi, âgée de 22 ans. Elle veille sur le bon déroulement de la soirée.
L’association Cop1 dispose de plusieurs locaux pour stocker les denrées alimentaires. Cette photo a été prise dans le bâtiment de l’Université Paris 3. Lucas Ciaravola ©
Loin du bouillonnement des préparatifs, Emma*, 26 ans, scrolle sur son téléphone. Elle lui reste encore 50 minutes à attendre, alors qu’il commence à pleuvoir. Son faible pécule, qu’elle a accumulé grâce à d’anciens contrats de travail, fond comme neige au soleil. « Tout coûte cher », se désole-t-elle, vêtue d’un manteau beige premier prix.
Pour pallier cette précarité, une proposition de loi a été déposée par les Socialistes à l’Assemblée nationale en octobre 2024. Elle vise à « rendre accessible à tous les étudiants le repas à un euro », y compris ceux qui ne sont pas boursiers. « Nous devons permettre à tous les étudiants de manger à leur faim. Le système actuel de bourses n’est plus adapté », argue Fatiha Keloua Haci, rapporteuse du texte. Ce dernier a été débattu le 12 décembre dernier au sein de l’hémicycle et renvoyé depuis à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Bénévole et bénéficiaire
Il est 18h20, rue Gouthiere, dans le 13ème arrondissement de Paris. Les premiers bénéficiaires peuvent désormais entrer à l’intérieur du centre d’accueil pour jeunes, réquisitionné pour l’occasion. Emma* est soulagée, l’attente est finie. Au milieu de la pièce d’une trentaine de mètres carrés, s’entassent des piles de vêtements, de tous types. Des pantalons, des tee-shirts, des sweats, des blousons, des sacs à mains, mais aussi des protections hygiéniques envahissent les lieux. Il s’agit uniquement de dons de particuliers et occasionnellement de grandes marques. Idem pour les produits alimentaires, avec des légumes, des pâtes mais encore des boîtes de conserve. Les quantités par personne sont limitées, à cause d’un stock restreint. De toute façon, personne ne cherche à s’éterniser sur place.
Ciaravola ©
Cop1 en a bien conscience. Ces rendez-vous peuvent générer de la honte de la part des bénéficiaires. « L’idée est de rendre ce moment le moins désagréable possible », raconte Medhi*, bénévole en service civique. C’est sa première distribution vestimentaire. Lui s’occupe du service des boissons, un petit plus proposé gratuitement par Cop1. Cette tâche, d’apparence anodine, permet de renouer du lien social et de briser les barrières de la timidité. « Voulez-vous du café ou du thé ? », s’adresse-t-il à des bénéficiaires, toujours avec le sourire. Il communique en français et parfois dans un anglais approximatif et hésitant. Medhi* arrête son service aux alentours de 20h35, une fois l’événement achevé. Il reviendra le lendemain, lors de la distribution alimentaire. Cette fois pour remplir son frigo.
*Pour préserver l’anonymat des personnes citées, leurs prénoms ont été modifiés.
Lucas Ciaravola